11. L'art de comprendre
« Encore ? J’ai l’impression que tu passes ta vie à le nettoyer cet évier ? »
« C’est le seul de la maison, on l’utilise beaucoup ! Et puis entre la peinture et le dessin de Rosaria et ma sculpture, on peut finir avec des mains plutôt sales.»
« J’imagine que c’est le risque de n’avoir que des créatifs dans la famille. »
« Et ça ne risque pas de s’arrêter. Il va falloir penser à installer plus d’évier dans cette maison. »
« C’est à moi que tu dis ça ? »
« Tu fais quoi là ? Tu fouilles dans un gros tas de de déchet ? »
« Je cherche de la matière première pour mon prochain projet. »
« Si tu avais besoin de déchets, tu pouvais chercher dans ta propre poubelle. »
« Mais non, j’ai besoin de pièce métallique, pas de peau de banane. »
« Cela n’en reste pas moins totalement dégoutant. »
« Tu ne comprends rien à l’art. »
« Oui sans doute. »
« Je vais peut-être revoir ma position sur les capacités de Rosaria en peinture. Son dernier tableau me semble un peu moins réussi que les autres… »
« Elle peint quelque chose pour la chambre d’Antonio. »
« Ah je comprends mieux. Mais quand même. Ce n’est pas parce que c’est un tableau pour un petit garçon qu’elle doit colorier comme si elle avait 2 ans. Regarde j’ai même l’impression qu’elle a dépassé à certains endroits. »
« Je crois qu’on a déjà établi que tu comprends rien à l’art. »
« Oui enfin là, c’est pas vraiment de l’art. »
« Et en parlant de ton fils ? Il devient quoi ? »
« Fidèle à lui même. Il pleure, on lui donne à manger, il salit sa couche, on le change, il pleure, il dort… Enfin pas forcément dans ce sens mais tu as saisi. »
« Oui, j’ai saisi. Il grandit bientôt ? J’aimerai bien voir la bouille qu’il a. Je me demande si il te ressemble ! »
« J’avais pourtant l’impression d’être le père.»
« Parfois je me dis que ça serait mieux pour lui si je m’en occupais. Je ne l’aurai jamais laissé par terre sous la pluie moi. »
« Tu vas nous la sortir encore longtemps celle là ? »
« A chaque fois que cela m’arrangera. »
« Tu as rapporté tout ça de la décharge ? Tu as fait comment ? Vous n’avez même pas de voiture ? »
« A pied, dans mon sac. »
« Personne ne pourra dire que tu te laisses aller. Alors tu vas nous faire quoi avec tout ces détritus ? »
« Je sais pas encore, c’est la première fois que je tente. »
« Je suis curieux de voir ça. Et surtout qui peut bien être intéressé par une décoration créée à partir de déchets. »
« Tu comprends…. »
« Oui on sait ! »
« Rosaria fait quand même des choses beaucoup plus sympas. »
« Ça y est, c’est ta nouvelle favorite ? »
« Pas du tout. Et je ne vois pas trop comment ça fonctionnerait puisqu’elle ne m’entend pas. J’aime bien parler, mais parler tout seul ce n’est pas trop mon truc. »
« C’est bête pour toi que tu sois coincé avec moi alors. »
« Je ne serais pas là si je ne pouvais pas te supporter. »
« C’est plutôt rassurant. »
« Plutôt sympa ton salon. Un peu vide mais c’est déjà mieux que ta bonne vieille cabane. »
« Tu serais pas en train de changer de sujet par hasard ? »
« Depuis quand Antonio a grandi ? »
« Si tu n’étais pas occupé à critiquer mes oeuvres alors que tu n’y connais rien, tu n’aurais pas manqué son anniversaire. »
« Parce que tu ne l’a pas manqué toi ? Ou Rosaria d’ailleurs ? Je n’ai pas vu ni entendu quelque chose qui ressemblait à une fête d’anniversaire. »
« Pas besoin d’une fête d’anniversaire pour grandir correctement. »
« Vous en avez si peu, c’est quand même sympa de marquer le coup. »
« On y pensera la prochaine fois. »
« En tout cas, il a l’air d’avoir pris de vous deux. J’ai hâte de voir à quoi il va ressembler quand il sera plus grand. »
« Tu serais pas un peu impatient ? Il vient à peine de grandir. Laisse mon fils profiter de son enfance. »
« Oui je te laisse découvrir les joies de l’apprentissage. Tu verras, toi aussi tu seras impatient qu’il passe à l’étape suivante. »
« Oh une fleur ! C’est bientôt le printemps. Vous allez pouvoir profiter de votre jardin.
« Tu te rappelles mes débuts ? J’aurais vendu cette fleur aussitôt repérée pour pouvoir mettre dans la cagnotte pour la construction d’un abris. »
« Il est vrai que cela fait une éternité. Je suis plutôt fier de ce que tu es devenu dans l’ensemble. »
« Ça fait plaisir à entendre un compliment de temps de temps. »
« Il ne faut pas exagérer, ce n’est pas le premier ! »
« Et j’espère que ce ne sera pas le dernier ! »
« C’est qui ce type dans mon salon ? »
« Tu te souviens mon compliment de tout à l’heure ? »
« Oui ? »
« Et bien je le retire ! Vous avez oubliez de payer vos factures !!! »
« C’est fâcheux. »
« C’est tout ce que tu trouves à dire ? »
« Je crois que c’est un peu tard pour faire quelque chose. Qu’il prenne la chaise, on en avait qu’une et elle ne servait à rien de toute manière. »
« J’espère qu’il va ne prendre que ça. Vous ne roulez pas franchement sur l’or, alors si en plus on vient vous prendre le peu de meubles que vous avez. »
« C’est bien d’apprendre à ton fils ce que c’est de réussir après ce désastre. »
« T’y vas pas un peu fort là ? Il a juste pris une chaise. »
« Qui sait si tu ne vas pas regretter de l’avoir cette chaise dans quelques temps. »
« On en rachètera une autre si ça peut te rassurer. Et puis Rosaria n’est pas en train de lui apprendre le succès, elle lui apprend juste à parler. »
« Parce qu’il ne sait pas encore ? »
« Il vient juste de fêter son anniversaire je te rappelle. Mais tu verras, il apprendra vite. C’est mon fils après tout. »
« Tant que ce n’est pas toi qui lui donne des cours de peinture. »
« Alors c’est ça ton grand chef d’oeuvre en détritus ? C’est quoi ? Un cheval ? »
« Oui c’est ça ! C’est beau hein ? »
« J’irais pas jusque là. On va dire que c’est plutôt originale. Ça devrait suffire pour qu’un riche snob l’achète juste parce que ses amis n’ont pas la même. »
« Ça me va si ses amis viennent me voir pour que je leur en fasse une. »
« Il y a quand même un gros « si » : quelqu’un doit avoir envie d’acheter ce machin. En l’état, je dirais même que ça fait un peu peur en fait. Un peu comme un cheval tout droit sorti de l’Enfer. Il manque plus que la fumée ou le feu qui sort des naseaux. »
« Décidément, tu … »
« Je ne comprends rien à l’art je sais. »
« Encore une fois, tu laisses Rosaria manger toute seule. »
« Tu ne lui en veux plus d’avoir laissé Antonio au sol sous la pluie ? »
« Si bien sûr, mais ça ne m’empêche pas de trouver ça triste. Elle doit vraiment t’aimer. »
« Pourquoi tu dis ça ? »
« Elle est toute seule tout le temps. Cela fait un bon moment que je ne vous ai pas vus ensemble. Depuis la naissance de votre fils même. Et vous n’êtes même pas mariés alors que vous êtes ensemble depuis bien longtemps ! »
« Et elle ne s’occupe pas que des tâches les plus plaisantes. Je vois qu’elle prend aussi en main l’éducation de la propreté de votre fils. »
« Il faut bien que quelque le fasse. Et je m’en occupe aussi. Tu n’es juste pas là au bon moment. »
« Tu veux que je lui demande ce qu’elle en pense ? »
« Tu peux toujours essayer. Tu sais très bien qu’il n’y a que moi qui t’entends. »
« Qui te dis que c’est la vérité ? »
« Tu n’aurais pas osé mentir sur ce point. Et si tu avais quelqu’un d’autre à qui parler, ça ferait longtemps que tu m’aurais laissé tombé »
« Mais qui s’occupe donc de la maison quand elle est partie ? Vous avez une nounou ? »
« Tu crois qu’on a assez d’argent pour ça ? Non je laisse tomber mon travail pour jeter un oeil sur Antonio. »
« Et réparer les fuites quand il y en a ? »
« Très drôle. Tu veux pas t’occuper un peu de Rosaria et me laisser tranquille ? »
« C’est ce que je faisais, mais l’observer donner des conseils vestimentaires à toutes les vieilles mégères du coin, ce n’est pas très passionnant. En tout cas c’est beaucoup plus intéressant de t’embêter. »
« Et tu n’as pas besoin de conseils vestimentaires toi ? Ça pourrait t’aider et moi ça me ferait des vacances. »
« Tu es déjà allé voir Rosaria au travail ? »
« Non. Pas le temps avec la maison à surveiller. »
« Vas-y, on en reparlera après. »
« Tu n’es pas chez toi non plus ? Tu es venu vendre ta magnifique sculpture de cheval de l’Enfer. »
« Oui j’attends la réponse du responsable du dépôt vente. »
« Je vois que tu pris ton fils avec toi. Ça change. »
« Tu doutes encore du fait que je m’occupe de mon fils ? »
« Maintenant que je te vois avec lui, j’ai moins de mal à imaginer. »
« Et tu as vu, j’en profite pour lui apprendre à marcher. »
« C’est mignon tout plein. Profites-en, ça grandit vite. »